[Mission] C'est la guerre !

J'avançais résolument, sans un mot. Que pourrais je dire de plus ? Je ne pensais déjà plus à la mission que j'étais en train de remplir à l'instant même. Mon esprit était ailleurs, avec quelqu'un d'autre qui était bien trop loin de moi à mon goût. Je venais à peine de le retrouver et pourtant, je devais déjà me séparer de lui. Les oracles n'avaient ils donc aucun coeur pour faire cela...? Ca avait le don de m'énerver. Je voulais encore rester avec lui. Je ne voulais plus qu'il me quitte encore dans une mission inconnue à laquelle il ne reviendrait pas avant des mois, sans mémoire... Je n'avais pas envie que cela recommence.

Alors je marchais droit devant moi sans même regarder là où j'allais. J'étais en pilote automatique... En réalité, je uivais un serviteur qui devait nous emmener je ne sais trop où pour voir qui avait bien pu lui vendre sa viande. Et j'étais loin de m'imaginer que je devais aller jusqu'au port d'Oreinos. Certes, ce n'était pas si loin que ça. Mais venant du Palais des Oracles, ce n'était pas la porte d'à côté non plus... Mais peu importe, la marche m'était profitable, je pouvais au moins ruminer en silence et seule vu que je marchais devant sans dire un mot. Je ne savais même pas qui me suivait d'ailleurs. J'avais bien vu le capitaine de la garde ordonner à quelques uns de ses hommes de nous suivre mais bon...

Même l'épisode qui s'était passé sous nos yeux en sortant du temple ne m'avait même pas distraite. Cette fameuse scène ? Et bien c'était le tout nouveau général qui était en train de se faire arrêter par des gardes du temple et qui était amené à l'intérieur du palais pour être enfermé dans les prisons les plus profondes d'après les gardes. Ordre des oracles... Décidément il s'en passait des choses ici... Il n'aura pas fait long feu Engeyrrand en tant que général... Le plus petit mandat qui puisse exister je crois... Enfin peu importait, de toute façon je ne le connaissais pas alors à quoi bon...? En plus je n'aime pas les généraux. Pourquoi ? Question de principe...

Quoiqu'il en soit, je suivais le serviteur depuis une bonne demi-heure et on commençait déjà à sentir les embruns de la mer qui venaient nous chatouiller les narines. On n'était vraiment plus très loin du port... Et alors que je pensais à cela, le serviteur nous fit déboucher d'une ruelle en coin qui donna immédiatement sur les quais du port d'Oreinos. C'était magnifique. Il y avait des petits navires de pêches amarrés un peu partout. Il y avait même au loin d'énormes vaisseaux de guerre ou je ne sais quoi encore dont les petits canots de voyage étaient accrochés aux quais.

Ce paysage me rendit un peu silencieuse. Un peu beaucoup même... Je venais de réaliser que je n'avais jamais mis les pieds ici... Et pourtant, c'était bien joli... Il y avait tout un tas de parfums. Ceux de la mer bien sûr. Mais il y avait aussi des épices venant tout droit d'Egypte, du lait, des viandes de toutes sortes, des fruits bien mûrs, des amphores remplies d'huile, du textile... On avait l'impression que tous les petits étals à quai du port possédaient tous les biens du monde... Cela donnait envie de flâner et de s'arrêter pour tout acheter.

Mais bon, j'étais une femme et avec des hommes, les femmes sont des éternelles incompréhensibles... Alors on ne s'arrêta pas pour flâner et on passa notre chemin. Le servant nous emmena tout droit vers un étal de viande rouge et bien saignante à souhait. Viande découpée, cuite ou même avec l'animal en entier, il y avait de tout dans cet étal. Ca avait l'air bon à regarder comme cela. Bon mais cher. Et puis il y avait ce vendeur insupportable qui n'arrêtait pas de dire à la criée :

- Allez, venez donc gouter à ma belle viande juteuse !!! Importation de première qualité du village de chasseur, Therios ! Pas cher !!!

Ouais c'est cela... On va te croire... J'aurais même pas assez de sous dans ma bourse pour t'acheter ne serait ce qu'une cuisse de ton sanglier là... Enfin peu importe. Toujours est il que le servant nous mena directement à ce vendeur qui braillait à tue-tête. Je ne savais pas tellement ce que je devais faire mais bon... Alors je suivis le serviteur. Il me montra et me présenta directement au marchand. Il s'appelait Helias. C'était apparemment lui qui leur avait vendu la viande qui avait été retrouvée empoisonnée... En effet, on avait pas mal de question à lui poser à cet oiseau... Pourquoi pas... Avez vous tenté de tuer les oracles ? Non c'était peut être un peu abrupt en premier abord...

Comment faire...? Comment faire pour se débarrasser d'un lourdingue hein ? Ca serait gentil de me donner la solution car j'en ai grand besoin en ce moment... Le truc embêtant c'était que ce lourdingue était un spectre... Et en tant que spectres civilisés, on n'avait pas le droit de taper sur d'autres spectres... Ni de s'engueuler en public... Ni de se lancer des duels... Ni de torturer un compagnon d'arme... Ni même de tuer rageusement son prochain... Bref, tout ce que je voulais lui faire m'étais interdit... Pas de chance hein... Je sais ! Je vais être générale pour changer cette stupide loi et le faire pendre ! Non...? Pfff... Z'êtes pas drôles...

Non mais c'est vrai à la fin ! J'avais envie de lui arracher les yeux ! Il parlait, il parlait... Tout ça pour ne rien dire. Encore ses discours où il montait sur de grands chevaux. A croire qu'il ne se laissait guider que par son devoir et son honneur au lieu de ses émotion et ses tripes... C'était d'un ennui ! Donc du coup, ce qu'il me racontait ne m'intéressait absolument pas. Et je ne me privais pas pour le lui montrer. Notamment, je me mis à bailler en plein milieu de son discours. Puis, alors qu'il terminait, je lui dis d'un air un peu étonnée et désolée.

- Oh mes excuses... Je ne t'ai absolument pas écouté... Je te demanderais pas de répéter car je crois que ca ne m'intéresse pas...

Puis, lui faisant un sourire faussement navré mais surtout très explicite sur le fait que tout ceci était bien intentionnel, je reportais mon attention sur Jules, me mettant à ignorer ce petit impertinent insupportable. Parce que bon, je l'avais entendu et tout compris. J'en avais juste rien à faire. Et puis on avait autre chose sur le feu en ce moment. Alors je me suis mise à me promener doucement autour de l'étal, entendant rapidement les conversations entre le marchand et les spectres.

- Ma viand' ? Mais l'est parfaite ma viand' ! Créfieu ! J'vais t'montrer moi ! R'garde moi donc c'te beauté ! Tendr' et juuuuteuse ! Y'a pas mieux par ici ! Foi d'vendeur !

Jetant un coup d'oeil dans leur direction, je voyais le marchand faire de grands gestes passionnés avant de montrer à Jules un bout de steack qu'il venait d'aplatir sur le comptoir. Et en effet, en voyant les quelques coups de poing qu'il mettait à sa viande, elle semblait parfaite. Après, de là à ce que ce soit vraiment le cas... Ca je n'en savais rien... Surtout qu'on avait plus de potion sur nous et qu'Eowo était resté je sais pas où... En tout cas, il n'était pas avec nous... Jamais là quand on avait besoin de lui... Mais le marchand reprenait, surtout à la question de Bladered.

Pour sûr qu'elle vient de Thérios ! Pouvez pas trouver mieux ! Et j'ai quasi l'exclusivitation ! Exclusimité... Bref... Comme d'hab', un bateau arrive de Thérios pour m'livrer ma belle viand'. Juste un paquet qu'j'dois donner aux valets là... D'la belle viand' que j'dois un peu préparer.

Mais maint'nant qu'vous l'dites... Aujourd'hui j'ai r'çu deux paquets pour vos trans' là... C'tait bizarre mais bon...

Instantanément, je plissais les yeux. Comment paraître plus louche que cette affaire hein ? J'vous le d'mande moi ! Erf... Je commence à parler comme lui... Enfin bref, j'étais sur le point de prendre la parole quand soudainement, je sentis une odeur étrange... Une odeur... Horrible... On aurait dit... Du fromage ! Réalisant soudain quelque chose, je regardais l'espèce de crottin de chèvre qu'un vendeur était en train de me montrer en me collant presque ce truc odorant sur mon visage. Mais qu'est ce qu'il me veut lui ? Il veut que je l'émascule ou quoi...?

- Hey belle demoiselle ! Regarde donc mon beau fromage ! Il est ti pas beau ? Viens voir mon stand, y'a plein de belles choses pour une aussi belle créature que vous ! V'nez donc !

- Mais... Mais...

Impuissante, je me voyais tirée vers un stand. Le pire c'est que je voyais tout un tas d'autres marchands qui m'avaient repérés. Mais... Mais... MAIS NON ! J'ai une tête à vouloir faire des courses moi ?!! Bien vite je me retrouvais dans une masse confuse de marchands qui me montraient tous un article de leur merveilleux étal. Bon là c'est le moment de déprimer... Bande de sexistes... Tout ça parce que j'ai une tête de donzelle... En même temps heureusement parce que j'en suis une... M'enfin quand même... C'pas juste...

Se faire harceler par des marchands... Ah ce que j'adore ça franchement... Non c'est sacrément ironique là... Déjà qu'en temps normal je déteste faire mon marché à cause de ça... Mais là en mission en plus... J'étais sur le point d'électrocuter le marchand jusqu'à la mort là... D'ailleurs mes cheveux commençaient à se hérisser doucement sur ma tête... Bah oui, avec l'histoire de Bladered, j'étais un peu sensible et susceptible à la colère là... Mais bon, heureusement, Jules me ramena dans le droit chemin en m'agrippant par le bras et en coupant le clapet de l'autre tchatcheur. Oui là je l'aimais le Jules... Mais bon, je devais rester fière donc je ne répondis qu'à un petit mouvement de la tête reconnaissant tandis que les marchands semblaient faire demi-tour et allaient s'attaquer à d'autres.

Pendant ce temps-là, le marchand voulut répondre à toutes les questions. Il eût cependant la politesse d'attendre que cette affaire soit finie avant de répondre en riant grassement :

- Aha ma p'tite dame ! Faut pas s'éloigner du groupe ! C'dangereux par ici ! Restez donc avec vot' homme.

Mon quoi....? Instantanément, je plissais les sourcils, n'ayant pas bien saisi où est ce que ce gros bonhomme voulait venir. Il croyait que j'étais amoureuse de Jules là...? Mais... Mais... Mais non enfin ! Mais, je n'eus même pas le temps de protester que le marchand répondait déjà bien gentiment aux spectres. Il était plein de bonne volonté en tout cas ce Hélias...

- Beeeeeh... 'Fait, j'ai aucune idée de si l'est encore là ou pas... Faut dire que j'reçois mes marchandises et basta ! Pas l'temps de r'garder la mer moi ! Elle s'vend pas toute seule ma belle viand' ! J'prends le paquet, j'prépare la viand' bien plus bonne... Puis, j'la mets de côté jusqu'à c'que l'aut' arrive quoi.

Pendant ce temps là, je vis quelques marchands graviter autour de nous en nous regardant dans le coin de l'oeil. C'est alors que je me suis mise à leur adresser à tous un regard noir, sortant mon poignard de sous ma jupe en jouant avec en prenant un air féroce. En gros cela voulait dire : "Si tu fais un pas de plus, je te butes...". Du coup, je crois que les marchands avaient bien compris le message... Hélias pendant ce temps là s'était mis à préparer une belle côtelette. Avec sa grande machette de boucher, il était en train de matraqué un pauvre cadavre de chevreuil. Ca faisait presque peur... En plus ça faisait un de ces boucans... Heureusement qu'il criait assez fort pour qu'on l'entende...

- Donc bah ce matin, j'ai préparé les deux paquets et pis j'les ai donné tous les deux à l'autre là. C'tout. Et pis pour Therios, vous en avez de bonnes vous ! J'sui pas scientifique moi ! Tout c'qui m'intéresse c'est qu'ils continuent à m'fournir ! Le rest' m'en fiche... Donc bon j'pense que ça doit bien aller là bas vu qu'j'ai toujours ma viand' !

Je regardais toujours la scène d'un oeil d'observatrice. Encore une fois, je préférais largement laisser Bladered mener l'interrogatoire plutôt que de poser moi-même les questions à ce marchand. Ce n'était pas que je n'en avais rien à faire... Non, je préférais m'effacer... Parfois, les gens font abstraction des autres personnes avec eux et ne se concentrent que sur leur interlocuteur. Ils ne s'attardent pas sur les autres silencieux et en oublient jusqu'à leur présence. Et c'est là que je pouvais repérer des gestes suspects, des grimaces dès que Bladered ne regardait pas le marchand. Mais cette fois ci rien... Helias coupait juste sa viande...

- Avariée...?!!! Avariée ?!!!

Visiblement, le marchand avait l'air bien choqué. Après tout, je le comprenais un peu... Se faire entendre dire que sa viande est avariée... Ca doit être assez rageant... Surtout qu'il avait l'air d'y mettre toute son énergie dans son travail... D'ailleurs, il venait de faire une de ces têtes de poisson frit à Bladered... Ce serait très comique en d'autres occasions... Puis, un peu rageux, il se mit à découper furieusement sa viande de partout, donnant des coups violents sur ce qui lui servait de support. De mon côté, je regardais d'un oeil inquiet le grand baraqué d'Hélias...

- Ma viand' est JAMAIS avariée ! Toujours bonne ! Qualité supérieure ! L'était parfaite ! Bien tendr' ... Bien rouge ! Bien sanguinolente... Des bêtes en bonne conserve... Comme d'hab quoi !

Non non... Ma viand' était parfaite vous êtes des menteurs...

Helias tambourina encore quelques secondes dans le silence total. En fait il ruminait encore intérieur puisque de temps en temps on l'entendait renâcler et grogner doucement. Bladered n'y avait pas été à la fine sur ce coup là... Il aurait mieux prit le fait de savoir sa viande empoisonnée qu'avariée... Au moins, ce n'aurait pas été de sa faute et ça n'aurait pas remis en doute son expérience dans le métier de la viande et de sa fraîcheur... Mais finalement, il reprit avec une pointe de déception dans la voix. On voyait qu'il ne voulait pas vraiment lui répondre. Il devait être vexé le gros nounours...

- Maint'nant qu'vous m'le dites... Y'a bien eu un truc bizarre... Le deuxième là... L'avait pas trop une tête de moussaillon... L'avait une longu' cape noire... J'ai pas vu son visage... Et... Il avait une broche... Oui m'en souviens... Un signe qu'est apparu récemment là... Savez... Les autres qui se sont installés près d'chez nous... Ya beaucoup de rumeurs d'ssus...

L'aut' jour, yavais eu un pari entre les marchands... C'était l'Folios qui d'vait faire un gage. Il d'vait rapporter un truc de leur campement en douce. Et l'a réussi le bougr' d'âne ! J'mettrai ma viande à brûler qu'y'avait le même signe d'ssus ! Après j'dis ca... J'dis rien...

Sur ces belles paroles, Hélias termina son anecdote par un regard appuyé en notre direction. A mon avis, il n'avait pas dit ça par hasard... Trouvant ça plus que louche, j'étais persuadée d'avoir trouvé la réponse à toute cette affaire de tentative de meurtre... C'était plus très compliqué en même temps. Alors, sans dire un mot, je me mis à regarder Bladered et Jules. Je voulais savoir s'ils pensaient à la même chose que moi...